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Culture Bulle
29 février 2016

Primé à Angoulême 4 : Andy Capp

 

Bonjour à tous ! Nous allons continuer à revenir sur les albums primés au Festival d'Angoulême, et enfin changer d'année. Nous en arrivons en effets aux Meilleurs Œuvres du festival de janvier 1977, récompensant sensément, donc, les parutions de 76.

 

Aujourd'hui, ça va être rapide. Tout d'abord, il me faut parler de la Meilleure Œuvre Réaliste Française de cette année : Légende et Réalité de Casque d'Or d'Annie Goetzinger, paru chez Glénat, la première œuvre féminine récompensé par le Festival et le premier album d'une illustratrice notable et encore en activité, ce qui serait approprié au vue des dernières controverse ayant agité le milieu quant au sexisme et au patriarcat prévalent dans le 9ème art encore quarante ans plus tard.

 

Le problème, c'est que cet album n'a jamais été réédité et est juste introuvable. Donc, bon, encore que je ne critiquerai pas tout de suite. Dommage.

 

Alors changeons radicalement de catégorie avec la Meilleure Œuvre Comique Étrangère de l'année Andy Capp tome 2 : Si c'est pas pire ça ira de Reg Smythe, chez Sagédition. Sauf que, ben, là aussi, c'est introuvable, d'autant plus qu'il s'agissait d'un de ces petits mais épais formats carrés sur papier pulp qui s'achetait au marchand de journaux, à parution de magazines populaires et jetés à la poubelle comme tels. Mais, néanmoins, la série anglaise originale a paru en strips quotidiens depuis 1957 et même la mort de l'auteur original en 1998 n'a pas suffit à en stopper la parution. Mieux, il y a eu plusieurs traductions en français dans les années 70-80, chez une variétés d'éditeurs… tous introuvables, également… jusqu'en 2006, quand une petite compilation de strips est parue aux éditions En Marge. Celle là est trouvable ! C'est pas forcément ce qu'il y avait dans l'album primé, mais ça permet de se faire une idée.

 

Et, bon, je triche, j'ai aussi un recueil anglais de 1963, ce qui m'a permis de voir à quoi ça ressemble dans sa version la plus originale, et de constater que dans la plus grande tradition du strip quotidien, le style, le dessin, le cadre et l'humour sont restés complètement homogène sur plusieurs décennies.

 

Andy Capp est, donc, un strip comique quotidien sans narration continue d'une page à l'autre, contant les hauts et bas de Andy Capp, chômeur professionnel dans une banlieue dortoir d'une ville industrielle anglais non-spécifique de l'Angleterre des années 50-70. Perpétuellement fauché, il passe la majeure partie des strips à tenter de taper une poignée de shillings à ses camarades piliers de bar, aux tauliers ou à son propriétaire, ou plus souvent encore à sa propre femme, Flo, qui à semble-t-il un travail non-précisée et fait tout le boulot à la maison et tente de tenir les cordons de la bourse. La relation avec sa femme est, dirons-nous poliment, intéressante, en ceci qu'il la bat régulièrement, qu'ils se battent aussi mutuellement l'un l'autre à l'occasion, qu'il n'est jamais poli et agréable avec elle que lorsqu'il doit lui emprunter de l'argent et que, suivant le gag inévitable et récurrent, elle est parfaitement consciente de ces retournements d'humeur, mais que néanmoins, ils restent ensemble, qu'elle le sert avec le sourire et qu'il y a quelque chose qui ressemble à de l'amour entre eux deux. Comme elle le dit dans un strip, si ils étaient pas mariés, ils seraient obligés d'aller se battre avec des étrangers.

 

Autrement, les sous ainsi extorqués sont employés à tous les loisirs traditionnels des classes prolétariennes anglaises : le tabac, le football, les fléchettes, la colombophilie, le billard, les courses et, bien sûr, l'alcoolisme ///// et la fainéantise.

 

Bref, Andy a, très littéralement, tous les défauts attachés à la classe ouvrière traditionnelle des régions industriels à l'époque où il y avait une industrie. Vous publieriez ça hors contexte, on croirait facilement qu'il s'agit que c'est un truc de parisien pour se moquer des Ch’timis. Dit comme ça, c'est problématique de bien des façons. Soit Andy est un personnage négatif, le sale pauvre qui a tout les vices, et c'est de l'humour classiste qui tape vers le bas, soit Andy est un personnage positif, un amusant trublion qui s'en sort toujours par sa roublardise, et on a alors une série qui exalte l'alcoolisme, la violence conjugale et milles autres vices sociaux.

 

Heureusement, le contexte vient sauver la lecture : c'est de l'humour ouvrier. En Angleterre, Andy Capp paraît dans le Daily Mirror, tabloïd populaire travailliste. L'auteur, Reg Smythe, est un enfant des villes industrielles, d'un père chômeur et d'une famille dans la pauvreté constante. Ça n'est pas l'humour d'un privilégié crachant sur les pauvres, c'est un prolo rigolant des prolos avec les prolos. Andy n'est plus une caricature du profiteur indigne, il est un raccourci de tout ce que les ouvrier reconnaissent eux même comme étant leurs faiblesses ; pire, ou mieux, Andy n'est pas un vrai prolo, il est chômeur volontaire, un escroc et un profiteur, il est un MAUVAIS prolo parmi d'autres travailleurs qui sont vertueux à coté de lui, et à partir de là il est légitime de se moquer de lui.

 

C'est la différence entre les Ritals de Cavanna et Affreux, sales et méchants de Scola.

 

Donc, en tant que démonstration, rare, d'une bande dessinée ouvrière à destination d'ouvriers et traitant avec une certaine aigre tendresse de la vie quotidienne du prolétariat, sa reconnaissance par le jury du Festival d'Angoulême est intéressante et marquante, une volonté de pointer la qualité dans le populaire. Un documentaire sur le monde ouvrier tel que vu par lui-même.

 

Et, ben, heureusement que ça a ce contexte, parce qu'autrement, au moins de mon point de vue qui n'est probablement pas celui du public visé… c'est assez médiocre. Le dessin humoristique gros-nez est efficace dans son genre mais loin d'être original ou brillant, les personnages ne sont jamais que de profil ou de face strict. Les gags peuvent parfois être très bons et drôles, j'en conviens, mais entre les bons gags il y a beaucoup de répétitions, de redites et de réécritures des même idées, et parfois ça tombe juste à plat. Je ne saurai dire pour la version de 77, mais la version de 2006, n'essaye même pas de traduire ou de donner un équivalent à l'accent et à l'argot qui font une certaine partie du charme et de l'humour de l'original (et entre nous, il y a certains gags qui tombent teeeellement à plat, quelque chose me dit que la blague originale y était lié à la langue). Et puis, bon, c'est peut-être mes sensibilités bourgeoises du XXIème siècle qui s'exprime, mais je me trouve un peu gêné à me voir proposer des gags où la violence conjugale et la déchéance sociale sont présentés comme hilarantes !

 

Après, le prix est peut-être fonction des critères même du prix, et qu'en 1977, il n'y avait pas moult série humoristique étrangère qui soit traduites en français, sachant que l'humour est ce qu'il y a de plus dur à traduire, qui ait paru en une version album dans la période appropriée, et qui soit de qualité assez notable pour être récompensé. Andy Capp serait alors ce qu'il y a de mieux dans un champ limité.

Pourquoi pas.

Je note juste que les Peanuts de Charles Schulz paraissaient en plusieurs versions à cet époque là, y compris chez Sagédition qui a reçu là le prix, et n'a jamais été primé à Angoulême malgré son poid culturel indiscutable.

 

Alors, au final, c'est ma première vraie déception dans la sélection d'Angoulême. Après, c'est de l'humour, ça se partage très mal, et c'est dur d'en parler sans tuer la blague. Je suis sûr que d'aucun peut trouver ça drôle à s'en battre les côtes et, issu de la culture ouvrière, sera plus à même d'apprécier toutes les références et ne s'y retrouvera avec joie. Mais, hé, c'est ma chronique, c'est moi qui ne suis pas emballé.

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