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Culture Bulle
5 mai 2016

Primé à Angoulême 6 : Les Peaux-Rouges

Culture Bulle, les meilleurs albums d'Angoulême 6 : les Peaux Rouges

Bonjour à tous ! Dans notre série « les meilleurs albums d'après le Festival d'Angoulême », faute d'avoir mis la main sur le Casque d'Or d'Annie Goetzinger, on en finit avec 1977 avec le prix de la Meilleure Œuvre Réaliste Étrangère, les Maîtres du tonnerre, premier volume de la série les Peaux-Rouges du néerlandais Hans Kresse, paru en français comme en hollandais aux éditions Casterman.

 

 

Sérieusement ? « les Peaux-Rouges » ? D'accord, les années 70 sont dans le passé et donc pas comme nous, mais je suis sûr que même en 77, il était su qu'appeler les américains natifs « peaux rouges » était ouvertement insultant. À la décharge de l'auteur, dans son hollandais natal, la série s'appelle de Indianenreeks, « la série des indiens », un titre qui a beau être quelque peu générique, au moins, ça n'est pas le surnom raciste que leur donnaient leurs génocidaires. Traducteur anonyme de chez Casterman, sache-le, ce que tu as fait n'est pas chic.

 

Je tiens à noter une autre bizarrerie, mais ici lié au choix du jury du Festival d'Angoulême : Alors que le prix est donné au Festival de 77 pour récompenser un album paru en 76, les Maîtres du tonnerre date de 74. Il y a déjà 5 albums parus en français de cette série quand le tome 1 est récompensé. C'est donc un peu le contraire du cas de la Ballade de la mer salée où le jury a saisi la première occasion de récompenser une œuvre déjà longue mais pas encore compilée en livre, ils vont chercher un vieil ouvrage pour, peut-être, récompenser les albums récents. Ou alors ils veulent récompenser le concept de la série, qui devait à la base être une longue histoire de la nation indienne, un album par génération, plutôt que l’exécution où, dans les faits, on reste sur la même génération et les mêmes personnages pendant de nombreux albums. Ça arrive, les romans Game of thrones aussi étaient censés être une histoire s'étalant sur plusieurs générations, et six mille pages plus tard l'hiver n'est toujours pas venu et une année n'est pas passée.

 

Mais revenons donc sur l’œuvre telle qu'elle est plutôt que celle qui aurait pu être. La première chose à noter est que, malgré qu'elle s'appelle « les Peaux-rouge », que la couverture nous vend de l'indien à plume en embuscade dans le désert Hollywoodien et que le logo de la série soit un grand sachem emplumé… ça n'est pas un western. C'est une bande dessinée historique se déroulant dans ce qui est actuellement au Nouveau-Mexique, en 1581, alors que les européens n'entame qu'à peine l'exploration de l'Amérique du Nord et avant quelque colonisation sérieuse que ce soit. On est trois siècles avant la conquête de l'Ouest.

 

Et au contraire de la plupart des westerns, nos personnages principaux sont des indiens, plus précisément des apaches de la tribu des faraondes, et nous suivrons essentiellement Anua, jeune guerrier beau et inexpérimenté qui est le fils de Chaka, le chef de la tribu et principale force active de ce volume, et Pashca-tueur-de-panthères, le plus puissant guerrier de la tribu. Les apaches, donc les faraondes donc nos héros sont des guerriers nomades chasseurs-cueilleurs et surtout chassant le bison. En tant que tels, ils sont constante opposition avec toutes les autres tribus nomades, aussi les premières pages, après la rencontre du loup le plus dépité du monde, concernent-elles un affrontement fumeux entre nos héros et des guerriers ennemis de la tribu togua rencontrés complètement par hasard au détour d'un mystérieux village en ruine attaqué par une autre tribu elle-aussi ennemi.

 

Mais tout cela n'a guère d'importance, le pourquoi de la ruine du village et de la présence d'autant d'ennemis jurés dans un si petit périmètre ne reviendra jamais sur le tapis, le point de l'affaire est d'introduire assez longuement, 5 planches sur 45, les personnages, les faraondes et le mélange de brutalité et de subtilité politique de leur mode de vie, où la mort et la violence sont des faits inévitables et acceptés comme tels malgré une réelle recherche de la paix, et où certes tout guerrier se doit d'être brave et d'avoir toutes les vendettas tribales bien en tête mais où en même temps il faut bien faire attention au pragmatisme de la survie des femmes et enfants de la tribu et maintenir des relations amicales avec le maximum de voisins.

 

Mais tout cela nous amène au cœur de l'intrigue : les faraondes ont eu une mauvaise saison de chasse et n'ont plus grand-chose à manger, aussi doivent-ils commercer avec les chipîwis, indiens pueblos sédentaires et cultivant le maïs, malgré les tentations de simple pillage, et dirigés en binôme par un vieux chef sage, pacifique et sympathique, et un horrible moche sorcier tirant son autorité d'un perroquet parlant l'espagnol qu'il jure être un messager des dieux que lui seul peut comprendre. Anua le jeune guerrier tombe amoureux de Sapobi, la fille du vieux chef sympa mais qui est promise au vilain fils du méchant sorcier, et de toutes façons Chaka le chef insiste que les faraondes ne se prennent femme que dans la tribu. Vous savez donc d'ors et déjà qu'ils seront ensembles avant la fin.

 

Accélérons un peu : le méchant sorcier et son vilain envoient des guerriers pour tuer lâchement nos héros tellement ils sont méchants mais n'arrivent à rien, pas même à briser l'amitié entres les vieux chefs ; finalement, un troupeau de bison est trouvé et glorieusement chassé, donnant assez de nourriture pour passer l'hiver, mais surtout, un marchand itinérant révèle que Les Guerriers Barbus sont de retour ! Et oui, cette bande dessinée est ancré dans des évènements historiques réels. Chef Chaka avait connu la première expédition espagnole au Nouveau-Mexique dirigé par Coronado en 1540, et voila que s'avance, hé bien, la deuxième expédition espagnole dirigée par Chamuscado. Ils sont encore considérés comme des créatures quasi-mythologiques, montant des créatures filant plus vite que le vent et possédant des gourdins où sont enfermés les membres du Peuple du Tonnerre qu'ils tiennent en esclavage pour tuer qui ils veulent… d'où le titre, les Maîtres du tonnerre.

 

Et effectivement, l'hiver passé, les mexicains sont là, ils s'emparent du village chipiwi, de son vieux chef sympa et de sa jolie fille qui étaient les seuls à être resté, les conquistadores sont cruels et uniquement retenus par de gentils franciscain, le tout sous les yeux de nos héros qui interviennent courageusement malgré la peur mais sauvent à peine leur propre peau et celle de la fille. Le Vieux Chef Sympa est emprisonné et nos héros veulent le sauver. Le méchant sorcier est tellement méchant qu'il veut les tuer pour les empêcher de sauver le chef sympa et de voir la fille se marier avec le héros. Le sauvetage se passe n'importe comment alors que tout le monde se tombe mutuellement dessus et qu'un des franciscains libère le vieux chef de façon indépendante, puis fuit lui même et disparaît de l'intrigue, en accord avec les écrits historiques sur cette expédition. Puis les indiens apprennent la vérité sur les armes à feu, juste à temps pour rentrer au village chipiwi où le sorcier fait régner la terreur avec un fusil abandonné, mais il doit fuir en exil quand nos héros démontrent qu'il n'a pas la moindre idée de la façon de l'utiliser. Les vieux chefs autorisent le mariage du jeune héros et de la fille, les espagnols s'en repartent, fin.

 

Alors, c'est pas du tout une mauvaise BD. La documentation historique est indéniable, l'auteur est plus que bien renseigné sur son sujet, et aborde un temps et un lieu sur lequel trop peu a été dit malgré l'indéniable intérêt. Il n'y pas d'essentialisme ethnologique, il y a des gentils, des méchants, des têtes de cons et des têtes brulés, des voix de la paix et de braves idiots chez les indiens comme chez les espagnols, chez les sédentaires comme chez les nomades. Le scénario est final assez simple et bateau, mais sert surtout de squelette sur lequel vient se poser le muscle du récit : la vie quotidienne des indiens, leur vision du monde, leur comportement face à un monde qui change et la diversité des cultures. Le dessin est technique, précise, digne des illustrations d'un livre d'histoire, mais reste souple dans sa composition, son ressenti et l'impression de mouvement des personnages…

 

Néanmoins, je ne peux m’empêcher d'être surpris que ceci soit considéré comme étant l’Œuvre Réaliste Étrangère de 1'édition de 77. Si vous cherchez une bonne BD historique sur les débuts de la colonisation de l'Amérique du Nord, je vous la recommande, et vous souhaite bon courage, c'est introuvable. Mais c'est pas pas du tout du niveau de la Ballade de la mer salée.

 

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